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Le Combat de Lagarde
6 mai 2014

Impressions d'un officier d'alpins traversant Lagarde

   Le sous-lieutenant Georges Bertrand, sorti de Saint-Cyr, est versé au 6e bataillon de chasseurs alpins à Nice, dont le bataillon dépend du 15e corps d’armée. Dans son ouvrage « Carnet de route d’un officier d’alpins », paru en 1915, il nous livre ses impressions en ce début de guerre. Le 16 août 1914, le 6e bataillon de chasseurs alpins reçoit l’ordre de marcher vers la frontière et d’attaquer le bois de la Croix, entre les villages de Lagarde et de Moncourt où les Allemands se sont positionnés. Le bataillon arrive par le village frontière de Xures. Devant ses hommes, il rend hommage à cette province mutilée. Après avoir passé la frontière et avoir foulé du pied le sol ennemi à la tête de son unité, il vient de réaliser son rêve de jeunesse. Bientôt, c’est une toute autre réalité qui lui apparait :

  « Une odeur de sang et de chair corrompue monte du sol. Les ruisseaux du village sont pleins de sang. Les rues sont jonchées d’objets d’équipement aussi bien français qu’allemands. Il en est d’entièrement neufs. Un jardin clos est littéralement rempli de cuir – harnachement de sellerie ayant appartenu aux uhlans. Des habits, des sacs, des armes, des bidons traînent par terre : c’est lamentable.

   Nous nous arrêtons dans le village. Certains hommes s’approchent des tas de décombres pour y découvrir quelque richesse. Mais ils le font avec une certaine contrainte. J’avoue que je les regarde, un peu dégoûté…

   Dans ce village, devenu dans son entier un épouvantable charnier, se sont laissés surprendre deux bataillons français…Se laisser surprendre, c’est une faute au point de vue militaire. Mais c’est racheter amplement cette faute que de se défendre jusqu’au dernier, comme l’ont fait ces deux bataillons.

   Dans ce village, il a dû se dérouler un de ces drames anonymes, dont l’évocation fait passer un frisson de terreur. Se sentant perdus, nos hommes sont devenus des héros, et ils ont fait payer chèrement leur vie à ceux qui les avaient surpris. J’ai vu plus de quatre tombes communes contenant de 100 à 300 Allemands, surmontées d’une croix de bois, sur lesquelles étaient gravées par exemple de cette inscription : «  Hier Ruhen hundert deutsche Krieger. »

   J’étais curieux de voir pour la première fois des Lorrains annexés, de causer avec eux, afin de savoir ce qu’ils pensaient. Je rencontrai une bande de femmes en proie à une terreur folle. Réfugiées dans leurs caves depuis trois jours, elles avaient entendu, du fond de leur retraite, les échos du combat sanglant qui se déroulait dans le village. Assistant à la victoire successive des Allemands et des Français, elles ne savaient plus que penser ni que dire, et nous regardaient d’un œil hagard, sans oser ouvrir la bouche. La peur du Germain avait rendu les Lorrains prudents… »

 

Lagarde tombe 2

 

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